DROITS-GUINEE: Le silence des chefs religieux musulmans encourage l'excision

CONAKRY, 4 nov (IPS) – La lutte contre les mutilations génitales féminines en Guinée se heurte encore à une barrière dressée par des religieux musulmans qui refusent de se prononcer clairement pour la suppression de cette pratique affectant la santé des femmes dans ce pays d'Afrique de l'ouest.

"Un jour, j'étais de garde à l'hôpital Donka. Une fillette a été admise aux urgences, fortement anémiée suite à l'hémorragie provoquée par l'ablation de son clitoris. Il a fallu deux poches de sang et 15 jours d'hospitalisation pour la sauver. Depuis ce jour, j'ai décidé de lutter contre l'excision", déclare à IPS, Dr Mariama Djelo Barry, médecin à Conakry, la capitale guinéenne.

"Quand une femme est excisée, l'accouchement le plus normal conduit à la déchirure de cette cicatrice. L'hémorragie dépend de l'étendue des dégâts.

Elle peut provoquer la mort de la mère et de l'enfant", souligne Dr Barry qui est responsable à la Cellule de coordination sur les pratiques traditionnelles affectant la santé des femmes et des enfants (CPTAFE), une organisation non gouvernementale (ONG) basée à Conakry.

Elle indique que "Dans les villages, les accoucheuses traditionnelles pratiquent une petite incision sur la cicatrice pour faciliter l'accouchement".

"C'est l'analphabétisme qui est à la base de l'excision. Si les femmes connaissaient réellement le contenu du Coran et les méfaits de l'excision, elles auraient renoncé à la pratique", estime Barry.

Pour sa part, Mariama Aribot, la ministre guinéenne de la Condition féminine et de l'Enfance, prévient que "La santé, le psychique et le moral des femmes sont affectés par les mutilations génitales féminines (MGF)".

Selon elle, "cette pratique est l'une des formes les plus graves de violation des droits de la femme".

L'excision consiste à enlever partiellement ou totalement le clitoris de la femme. Dans certaines régions d'Afrique, on pratique l'infibulation qui consiste à coudre les grandes lèvres du vagin de la fille et à ne réserver qu'un petit orifice pour l'urine et les menstruations. L'objectif de l'opération est d'empêcher des relations sexuelles.

Selon la CPTAFE, plus de 80 pour cent des femmes guinéennes sont excisées malgré les mises en garde répétées des ONG féminines qui combattent les MGF.

Le principal moyen de lutte des ONG est la sensibilisation directe à travers des passages de membres de la CPETAFE qui se rendent aussi bien dans les villages que dans les pour éduquer les citoyens dans les langues locales. Il y a également le concours d'anciennes exciseuses qui ont jeté le couteau, qui participent à cette campagne. Selon Barry, des cassettes montrant les horreurs de l'excision ont été mises à leur disposition pour les aider dans leur travail.

Dans ce pays d'environ huit millions d'habitants, les femmes représentent 52 pour cent de la population, selon des statistiques officielles qui indiquent également que plus de 85 pour cent des Guinéens sont musulmans.

"En fait, il y a un problème avec les religieux musulmans. Quelques-uns d'entre eux nous soutiennent, mais la grande majorité est pour une application stricte de la Sunna — les lois musulmanes dont l'application n'est pas obligatoire", explique Dr Barry.

Selon une tradition islamique défendue par les partisans de l'excision, le prophète Mohammed aurait demandé un jour à une exciseuse de ne pas pratiquer une ablation totale mais partielle du clitoris.

"Le prophète a rencontré un jour une femme qui pratiquait l'excision. Il lui a demandé si elle continuait toujours cette pratique. A la réponse affirmative de la femme, le prophète lui a demandé de ne couper qu'une petite partie, mais de le faire bien", soutient Abdoul Karim Dioubaté, actuel secrétaire général de la Ligue islamique nationale.

Dioubaté se prononçait ainsi au cours d'un sermon de la prière de vendredi, à Conakry, en présence de plusieurs fidèles et fonctionnaires de la ligue islamique.

"L'excision est une question d'hygiène pour la femme. Cette pratique existait déjà au temps du prophète qui ne l'a pas bannie", affirme à IPS, Aboubacar Diallo, un fils d'imam à Conakry. "Même si la pratique n'est pas fondée par le Coran, personnellement, je vois mal ma fille grandir sans être excisée".

Selon Dr Barry, "Il y a une confusion qui est sciemment entretenue. Quand on parle de Sunna, on parle de quelque chose qui n'est pas obligatoire.

Seules les Farila — lois islamiques obligatoires — sont exigées absolument par le Coran".

"Dès l'instant où les médecins ont reconnu publiquement que cette pratique est nuisible à la santé de la femme, je pense que le bon sens recommande de l'abandonner puisqu'elle n'est pas obligatoire (dans l'islam)", ajoute-t-elle.

L'utilisation de matériels traditionnels non stérilisés fait également de l'excision un vecteur de transmission du VIH/SIDA dans un pays où le taux de séroprévalence est officiellement de 2,8 pour cent.

Toutes les ethnies la Guinée, y compris celles la région forestière à majorité chrétienne et animiste, sont concernées par le phénomène de l'excision. Il n'existe pas de statistiques officielles, mais plusieurs dizaines de fillettes subissent l'excision chaque année en Guinée, selon des sources médicales.

"En Guinée forestière, certains maris, dont les femmes ne sont pas excisées ou insuffisamment à leur goût, exigent qu'elles le soient avant de regagner le foyer conjugal. Imaginez cette situation. Il faut stopper cette pratique", déclare Aribot. "La pratique de l'excision en Guinée forestière prouve que cela n'est pas lié au Coran. Ce sont des coutumes dont nous avons hérité, mais elles sont néfastes", ajoute-t-elle. La loi guinéenne prévoit des peines très lourdes — jusqu'à 20 ans de prison — pour ceux qui se rendent coupables de "mutilation", un terme générique qui englobe les mutilations génitales, explique Souadou Diallo, une magistrate.

"Je pense qu'il ne serait pas raisonnable d'appliquer strictement ce genre de peine. A mon avis, si on veut être efficace, il est nécessaire de procéder à un toilettage, d'alléger les peines afin d'adapter la loi aux réalités. Il faut prévoir des peines applicables", estime-t-elle.

La dernière mouture de la loi, élaborée en 2000 interdisant de manière explicite l'excision en Guinée et prévoyant ces "peines applicables" n'a pas encore été votée au parlement.

Pendant ce temps, la CPTAFE tente de se pencher sur le problème des exciseuses traditionnelles, qui perpétuent la pratique avec toujours pour unique matériel chirurgical un couteau, parfois rouillé.

"Un programme d'une valeur d'environ 400.000 dollars est actuellement financé par l'USAID pour inciter ces femmes à abandonner la pratique de l'excision, en les réinsérant dans des activités génératrices de revenus.

Environ 99.000 dollars ont pu être décaissés, pour le moment, pour l'ensemble du programme", affirme Dr Barry. (L'USAID est l'Agence américaine pour le développement international).

Ainsi, dans les localités de Kouroussa, Mamou, Fria (dans l'est du pays), Conakry et Dalaba (nord-est), les exciseuses traditionnelles ont accepté de jeter le couteau contre 25 dollars pour faire un petit commerce.

"Malheureusement dans toutes ces zones, seules les exciseuses de Dalaba ont pu être évaluées de manière très encourageante dans le cadre du programme", indique Dr Barry. Ce qui signifie, selon un analyste, que seule les exciseuses de Dalaba ont vraiment accepté de jeter le couteau pour bien gérer leurs nouvelles activités. Dans les autres localités, les exciseuses ont accepté en théorie pour recevoir l'aide financière et reprendre l'excision après le départ des responsables de la CPTAFE.